Pourquoi Mohikkan ?

Je m'appelle Daniel CAMBEFORT et je suis né en 1956. Après quelques années de remplacements, j'ai été instituteur (*) (on dit maintenant professeur des écoles, mais ce nouveau titre censé nous élever socialement, je le considère comme une régression terrible) pendant 27 ans dans une petite école rurale à deux classes, de celles que le gouvernement de Sarkozy a fermées les unes après les autres.

Je suis sorti de l'école normale d'instituteurs de Grenoble il y a une trentaine d'années. À cette époque, je sentais derrière moi toute la pression de l'institution. Celle-ci attendait beaucoup de ses enseignants, elle exigeait de nous l'excellence, mais, toute entière tournée vers une grande idée, l'Éducation Nationale, elle nous apportait également tout son soutien, toutes ses ressources.

Un esprit républicain soufflait encore très fort dans les rangs des instituteurs mais aussi chez les inspecteurs départementaux, les inspecteurs d'académie et jusqu'aux ministres. Le système éducatif français était donné en exemple partout dans le monde comme une réussite. Bien sûr, tout n'était pas parfait mais tout le monde travaillait dans le même sens: Donner aux enfants de France un droit conquis à force de luttes et après des siècles d'obscurité et de servage, un des droits de l'homme fondamentaux, le droit au savoir.

Et puis, maladroits, imbéciles et pyromanes se sont succédé dans un ministère qui n'a plus aujourd'hui d'Éducation Nationale que le nom. C'est un chef d'oeuvre en péril, et la ruine de ce symbole est un choix politique.

Le monde a changé et pas en bien. La profusion des écrans et des mondes virtuels a envahi les salons puis les chambres des enfants comme des parents. Les modèles télévisuels ont imposé une vision paresseuse, ricanante, profiteuse, individualiste de la vie. Notre métier est devenu de plus en plus difficile face à des élèves de plus en plus perdus entre une école (encore) exigeante (parfois trop) et une image du monde à deux faces, inquiétante et frivole, violente et laxiste, où il est très difficile pour un enfant ou un adolescent d'imaginer prendre un jour sa place.

Face à ces difficultés que nous rencontrons dans notre métier, nos gouvernants ont choisi de faire un terrifiant pas en arrière en considérant que cette mission n'est plus du ressort de la République. Quoiqu'ils s'en soient défendu évidemment, les ministres ont tout fait pour saboter ce qui restait de l'édifice déjà passablement ébranlé après les années Allègre et Chirac:

  • Suppressions de milliers de postes chaque année; et ce ne sont pas des postes dans l'administration comme ils essaient de le faire croire, ce sont des enseignants
  • Suppressions des IUFM, ce qui équivaut à "lâcher" des centaines de jeunes non-formés pédagogiquement dans des classes plus chargées et plus difficiles à tenir et à motiver
  • Suppressions des services de remplaçants, des réseaux d'aide spécialisées aux enfants en difficulté (RASED) etc, etc
  • Instauration de contrats d'objectifs comme dans les entreprises privées
  • Passage à la semaine de 4 jours dans le primaire, contre l'avis des enseignants et de nombreux chrono-biologistes pour satisfaire les lobbies du tourisme

La liste est longue ...

Devant cette entreprise de saccage qu'ont entrepris les tenants du libéralisme dans notre pays, je ne pouvais plus rester inactif. J'ai la conviction que l'on se sert de nous, enseignants, pour montrer que ce grand service public a vécu, en nous empêchant de mener à bien la mission que nous avons reçue. On nous met sciemment dans la non-possibilité de réussir, pour pouvoir dire :
"Ça ne marche pas, il faut réformer! Il faut faire appel au privé, ouvrir le monde de l'éducation à la concurrence...!" En fait, c'est écrit noir sur blanc dans les objectifs de l'OMC (Organisation -non-démocratique- Mondiale du Commerce) dont la France (quelle France ?) est signataire. (voir cet article)

Une école à deux vitesses, une santé à deux vitesses, une vie à deux vitesses, c'est cela qu'on nous prépare. 10 % de privilégiés auront les moyens de se cultiver et de se soigner, les autres auront les miettes qu'on leur concèdera, comme sous l'ancien régime. Je n'ai voulu ni m'associer ni être associé à cette entreprise qui, à mon sens, nous mène tout droit au chaos. Par ce blog, j'ai voulu dire que je ne suis pas dupe, que je ne veux pas participer à ce massacre. Je crois toujours, malgré un demi-siècle passé, à une existence meilleure pour tous, suivant les idées et les valeurs des humanistes du monde entier.

Quand j'ai imaginé ce blog, je me suis vu, en tant que l'un des derniers repésentants d'une certaine idée de l'enseignement et de la démocratie, d'une certaine forme de civilisation, dans la peau d'un Mohican (d'où le titre) ou d'un panda, d'une espèce menacée d'extinction. Le vieil indien que je suis a maintenant tourné la page de l'enseignement et pris sa retraite, jugeant que je n'arriverais désormais plus à mener à bien ma mission avec suffisamment de sérénité. Transmettre le savoir, la culture, initier les enfants au beau et au respect de la nature me semblent des idées aux antipodes de celles qui dictent les actions de ceux que nous avons pourtant élus pour cela. Et quand j'entends, par exemple, le mot "croissance" répété jusqu'à la nausée, par F.Hollande, j'ai très peur que les élus de la "gauchette" de 2012 manquent cruellement de clairvoyance, de courage ou de conviction pour changer les choses en profondeur.

Trop de choses me déplaisent dans ce pays mal gouverné, dans ce monde mal géré. Les cahiers de doléances de 1789 permettaient aux citoyens de se plaindre et de faire des propositions. Ce blog restera donc le cahier de doléances d'un citoyen français et du monde en colère.