Comme il sent bon leur fumier !

Rédigé par Mohikkan | Classé dans : À lire, écouter, voir

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04 | 11

Une amie vient de m'envoyer ce beau texte de Fred Vargas :
" Les lendemains qui chantent, nous y sommes."
Il y a quelque temps, un autre ami m'avait prêté un splendide DVD:
"Bernard, ni Dieu, ni chaussettes." Un magnifique hommage au poète Gaston Couté.

Comme il sent bon leur fumier, à côté des déjections putrides du capitalisme triomphant (de bêtise) !
Je vous laisse apprécier...

Les lendemains qui chantent, nous y sommes.

"Nous y voilà, nous y sommes.
Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l’incurie de l’humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l’homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu’elle lui fait mal.
Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d’insouciance, nous avons chanté, dansé. Quand je dis « nous », entendons un quart de l’humanité tandis que le reste était à la peine. Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l’eau, nos fumées dans l’air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu’on s’est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l’atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s’est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu’il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières ( la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu’on ne l’a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n’a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis. C’est la mère Nature qui l’a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies. La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets. De pétrole, de gaz, d’uranium, d’air, d’eau. Son ultimatum est clair et sans pitié : "Sauvez-moi, ou crevez avec moi" (à l’exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d’ailleurs peu portées sur la danse).
"Sauvez-moi ou crevez avec moi"
Évidemment, dit comme ça, on comprend qu’on n’a pas le choix, on s’exécute illico et, même, si on a le temps, on s’excuse, affolés et honteux. D’aucuns, un brin rêveurs, tentent d’obtenir un délai, de s’amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l’humanité n’en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l’eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l’avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, – attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille - récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n’en a plus, on a tout pris dans les mines, on s’est quand même bien marrés).
S’efforcer.
Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l’Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d’échappatoire, allons-y.
Encore qu’il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l’ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante. Qui n’empêche en rien de danser le soir venu, ce n’est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie – une autre des grandes spécialités de l’homme, sa plus aboutie peut-être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore."

Fred Vargas Archéologue et écrivain







L'ODEUR DU FUMIER

C'est eun' volé' d'môssieux d'Paris
Et d' péquit's dam's en grand's touélettes
Qui me r'gard'nt curer l'écurie
Et les "téts" ousque gît'nt les bêtes :
Hein ?... de quoué qu'c'est, les villotiers,
Vous faisez pouah ! en r'grichant l'nez
Au-d'ssus d'la litière embernée?...
Vous trouvez qu'i' pu', mon feumier?

Ah ! bon guieu, oui, l' sacré cochon !
J'en prends pus avec mes narines
Qu'avec les deux dents d' mon fourchon
Par oùsque l' jus i' dégouline,
- I' pu' franch'ment, les villotiers !
Mais vous comprendrez ben eun' chouse,
C'est qu' i' peut pas senti' la rouse ! ...
C'est du feumier... i' sent l' feumier !

Pourtant, j'en laiss' pas pard'e un brin,
J' râtle l' pus p'tit fêtu qu'enrrouse
La pus michant' goutt' de purin,
Et j' râcle à net la moind'er bouse !
- Ah ! dam itou, les villotiers,
Malgré qu'on seye en pein' d'avouer
Un "bien" pas pus grand qu'un mouchouer,
On n'en a jamais d' trop d' feumier !

C'est sous sa chaleur que l' blé lève
En hivar, dans les tarr's gelives ;
I' dounn' de la force à la sève
En avri', quand la pousse est vive !
Et quand ej' fauch' - les villotiers !
Au mois d'Août les épis pleins
Qui tout' l'anné' m' dounn'ront du pain,
Je n' trouv' pas qu'i' pu', mon feumier !

C'est d' l'ordur' que tout vient à nait'e :
Bieauté des chous's, bounheur du monde,
Ainsi qu' s'étal' su' l' fient d'mes bêtes
La glorieus'té d'la mouésson blonde...
Et vous, tenez, grous villotiers
Qu'êt's pus rich's que tout la coummeune,
Pour fair' veni' pareill' forteune
En a-t-y fallu du feumier ! !!

Dam' oui, l' feumier des capitales
Est ben pus gras que c'ti des champs :
Ramas de honte et de scandales...
Y a d'la boue et, des foués, du sang !...
- Ah ! disez donc, les villotiers,
Avec tous vos micmacs infâmes
Ousque tremp'nt jusqu'aux culs d'vos femmes...
I' sent p'tét' bon, vous, vout' feumier?...

Aussi, quand ej' songe à tout ça
En décrottant l' dedans des "téts"
J' trouv' que la baugé' des verrats
A 'cor comme un goût d' properté !
Et, croyez-moué, les villotiers,
C'est pas la pein' de fèr' des magnes
D'vant les tas d'feumier d' la campagne :
I' pu' moins que l'vout'... nout' feumier !



Gaston Couté (1880-1911)

Mots clés : environnementnaturebarbarie

Commentaires

Le 07 février 2012 Lingots d'or a dit :

#1

L'odeur du fumier ! Ma foi originamle et assez drole

Le 16 janvier 2013 gerard a dit :

#2

"je comprendres"
m'enfin...

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