Natif de Toulouse et élevé très tôt au lait paternel du tournoi des 5 nations devant le "poste", je voue au rugby une grande fidélité. Bien sûr, le rugby actuel, beaucoup plus frontal et brutal, m'enthousiasme moins que le jeu d'évitement et de grands mouvements au large de naguère (mes premiers héros avaient pour noms Villepreux, Darrouy, Maso, ...), mais heureusement, il reste dans l'hexagone et dans le monde quelques artistes et adeptes du jeu à la française. Je crois même que ce beau jeu retrouve une certaine cote après quelques décennies de course effrénée au mastard atypique et à l'impact physique, rugby soit loué !
Le rugby, sport d'équipe par excellence, a toujours véhiculé des valeurs que le football a malheureusement perdues depuis longtemps.
Le rugby, c'est d'abord, à mon sens, le rôle essentiel, central, donné à "l'autre". L'autre sous toutes ses formes. L'autre-coéquipier, mais aussi l'autre-adversaire, l'autre-arbitre, l'autre-supporter. Superbe allégorie d'une humanité saine (c'est une hypothèse, un souhait, pas un constat), le rugby, a toujours montré que sans l'autre, on n'existe tout simplement pas. Un joueur seul ne joue pas. Pour se faire une passe, il faut être deux. Une équipe seule ne joue pas, et les deux équipes ont besoin d'un arbitre pour que le jeu se déroule bien. Comme une civilisation a besoin pour exister de règles, d'éthique, de respect. L'autre est un autre moi-même et sans lui, je ne suis rien.
Le rugby, c'est aussi le sens de l'intérêt supérieur du collectif, du groupe; le sens du sacrifice qui doit profiter à tous. La performance personnelle ne compte pas au regard de celle du groupe. Mes erreurs sont celles du groupe; mes exploits aussi. Leurs erreurs sont aussi les miennes, ainsi que leurs exploits. Donnez une récompense individuelle à un joueur, il la relativisera aussitôt, l'offrant à son équipe, mettant en avant le travail des gros de devant. Le rugby rend humble et fraternel. Si j'osais -allez j'ose-, je dirais que c'est un sport foncièrement "de gauche".
Or, depuis quelques années, Mourad Boudjellal, président du RCT (Racing Club de Toulon), croit, à lui tout seul, révolutionner ce sport. Et qu'est-ce que ce messie autoproclamé entend apporter? Son égo (énôôôôrme dans un sport aussi collectif), le droit à la grossièreté, le droit à la contestation systématique de l'arbitrage quand il se révèle contraire à son club, et puis, bien sûr, le fric-roi et les gloires de la planète ovale achetées à grands coups de chéquier et d'opérations de communication. Autrement dit, cet homme compte apporter au rugby toutes les petites et grandes véroles qui ont fait de notre planète toute entière le grand bazar inique et laid qu'elle est aujourd'hui. Belle avancée en vérité ! Lui qui fustige le conservatisme des vieilles barbes de l'Ovalie française, quoi de plus conservateur que de vouloir lui inoculer les virus qui ont tout détruit ailleurs ? Quoi de plus conformiste ?
Certes, il y a aujourd’hui de nombreux joueurs étrangers dans tous les clubs de top14. Certes, il y a sûrement du ménage à faire et des améliorations à apporter dans les milieux rugbystiques, et la professionnalisation n'a pas attendu Boudjellal pour se mettre en place. Mais lui et son acolyte, l'affairiste-casinotier Bernard Laporte, ne sont pas en train de régénérer le rugby mais bien de le dénaturer. Une équipe de rugby, ça ne s'achète pas, et j'espère que l'avenir le montrera. Une équipe, ça a une âme collective. Ajouter et retirer sans cesse des vedettes qui viennent faire des piges de luxe me semble une mauvaise idée, et j'espère que c'est l'esprit des équipes qui fera la différence dans les phases finales, et pas le fric, l'arrogance et la grossièreté des dirigeants.
Je n'ai rien contre Toulon qui fut un très grand club et pourrait le redevenir s'il retrouvait une âme. Ah, cette finale de 1985 regardée dans un petit bistrot du sud-est! Je soutenais Toulouse évidemment, discrètement car la salle était pour les enfants du pays. Mais les Bianchi, Galion (le meilleur "9" que la France ait connu, à mon avis) et autres Champ méritaient autant le Bouclier de Brennus que les Charvet, Noves, ou Cigagna de l'autre club rouge et noir.
Quand je pense à Toulon, je pense inévitablement à Daniel Herrero, et comme j'aime profondément cet homme magnifique, aussi sage qu'exubérant, je vous invite à suivre ce petit lien pour regarder un spot tourné pour les 60 ans de la déclaration universelle des droits de l'homme. Quel rapport avec le rugby ? Tout. Je ne peux pas croire que l'"apache" que vous venez d'entendre, grand humaniste et figure emblématique du RCT soit très heureux de l'air qui souffle aujourd'hui sur les gradins de Mayol. Bien sûr, les supporters vibrent de nouveau, mais où sont les fiers Toulonnais ? Sur la pelouse, en tout cas, il n'y en a plus.
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Pour les anciens copains qui passeraient sur le site, une petite photo d'époque !
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