Berlusconi renversé par Verdi : Viva Italia !

Rédigé par Mohikkan | Classé dans : Politique et démocratie

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06 | 11

Je considère depuis longtemps que le capitalisme est un ennemi mortel des peuples et des cultures comme avant lui l'ont été le nazisme, grand autodafeur (*) de livres ou le stalinisme. La mondialisation de l'économie entraîne une uniformisation et une soupisation (*) de la culture. Partout, la même "soupe" pseudo-culturelle : les mêmes crottes musicales, les mêmes best-sellers, le même sous-cinéma à gros budget, les mêmes pseudo-artistes, pseudo-peintres, pseudos-sculpteurs à la mode; les mêmes que l'on voit, entend, écoute, médiatise partout. La médiocrité est plus consensuelle, plus facile à vendre aux bons petits téléspectateurs-consommateurs que nous sommes devenus. Qu'importe donc la qualité pourvu que les majors encaissent.

Heureusement, il reste quelques grands hommes et l'âme des peuples n'est pas encore tout-à-fait morte. Le 12 mars dernier, Silvio Berlusconi a dû faire face à cette réalité...

L’Italie fêtait le 150ème anniversaire de sa création et à cette occasion fut donnée, à l’opéra de Rome, une représentation de l’opéra le plus symbolique de cette unification : Nabucco de Giuseppe Verdi, dirigé par Riccardo Muti.

Le grand chef d'orchestre italien Riccardo Muti, les yeux levés vers le ciel.

Nabucco de Verdi est une œuvre autant musicale que politique : elle évoque l'épisode de l'esclavage des juifs à Babylone, et le fameux chant « Va pensiero » est celui du Chœur des esclaves opprimés. En Italie, ce chant est le symbole de la quête de liberté du peuple, qui dans les années 1840 - époque où l'opéra fut écrit - était opprimé par l'empire des Habsbourg, et qui se battit jusqu'à la création de l’Italie unifiée.

Avant la représentation, Gianni Alemanno, le maire de Rome, est monté sur scène pour prononcer un discours dénonçant les coupes dans le budget de la culture du gouvernement. Et ce, alors qu’Alemanno est un membre du parti au pouvoir et un ancien ministre de Berlusconi. Cette intervention politique, dans un moment culturel des plus symboliques pour l’Italie, allait produire un effet inattendu, d’autant plus que Sylvio Berlusconi en personne assistait à la représentation…

Repris par le Times, Riccardo Muti, le chef d'orchestre, raconte ce qui fut une véritable soirée de révolution :

« Au tout début, il y a eu une grande ovation dans le public. Puis nous avons commencé l’opéra. Il se déroula très bien, mais lorsque nous en sommes arrivés au fameux chant Va Pensiero, j’ai immédiatement senti que l’atmosphère devenait tendue dans le public. Il y a des choses que vous ne pouvez pas décrire, mais que vous sentez. Auparavant, c’est le silence du public qui régnait. Mais au moment où les gens ont réalisé que le Va Pensiero allait démarrer, le silence s’est rempli d’une véritable ferveur. On pouvait sentir la réaction viscérale du public à la lamentation des esclaves qui chantent : « Oh ma patrie, si belle et perdue ! ».

Alors que le Chœur arrivait à sa fin, dans le public certains s’écriaient déjà : « Bis ! » Le public commençait à crier « Vive l’Italie ! » et « Vive Verdi ! » Des gens du poulailler (places tout en haut de l’opéra) commencèrent à jeter des papiers remplis de messages patriotiques – certains demandant « Muti, sénateur à vie ». Bien qu’il l’eut déjà fait une seule fois à La Scala de Milan en 1986, Muti hésita à accorder le « bis » pour le Va pensiero. Pour lui, un opéra doit aller du début à la fin.

« Je ne voulais pas faire simplement jouer un bis. Il fallait qu’il y ait une intention particulière. », raconte-t-il.

Mais le public avait déjà réveillé son sentiment patriotique. Dans un geste théâtral, le chef d’orchestre s’est alors retourné sur son podium, faisant face à la fois au public et à M. Berlusconi, et voilà ce qui s'est produit :Après que les appels pour un "bis" du "Va Pensiero" se sont tus, on entend dans le public : "Longue vie à l'Italie !"

Le choeur des esclaves de l'opéra de Verdi

Le chef d'orchestre Riccardo Muti : Oui, je suis d'accord avec ça, "Longue vie à l'Italie" mais...[applaudissements]

Muti : Je n'ai plus 30 ans et j'ai vécu ma vie, mais en tant qu'Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j'ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j'acquiesce à votre demande de bis pour le "Va Pensiero" à nouveau. Ce n'est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Choeur qui chantait "O mon pays, beau et perdu", j'ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l'histoire de l'Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue".

[Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène]

Muti : Depuis que règne par ici un "climat italien", moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant... nous devrions donner du sens à ce chant ; comme nous sommes dans notre Maison, le théatre de la capitale, et avec un Choeur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble.

C’est alors qu’il invita le public à chanter avec le Chœur des esclaves. « J’ai vu des groupes de gens se lever. Tout l’opéra de Rome s’est levé. Et le Chœur s’est lui aussi levé. Ce fut un moment magique dans l’opéra. »

« Ce soir-là fut non seulement une représentation du Nabucco, mais également une déclaration du théâtre de la capitale à l’attention des politiciens. »

Voici une vidéo de ce moment plein d'émotion.

Mots clés : culturepeuplesdémocratie

Commentaires

Le 25 août 2011 Goodguy a dit :

#1

Poignant...et réconfortant !
...et pourtant ils existent !

Le 14 janvier 2012 Nova 2000 a dit :

#2

Il était temps que Berlusconi quitte le pouvoir, l'Italie vaut bien mieux !

Le 21 février 2012 ticket de métro a dit :

#3

la vidéo est vraiment touchante je trouve merci

Le 01 septembre 2012 Jeux de crapette a dit :

#4

Votre billet est intéressant et je vais d'ailleurs le signaler à une collègue qui est du même avis que vous et je suis sûre qu'elle m'en sera reconnaissante. Bravo pour ce billet et votre implication pour mettre en commun ces réflexions. Je serais ravie d'avoir l'opportunité de vous lire à ce sujet dans les prochaines semaines. Cela m'est très très précieux ! Merci encore !

Le 27 septembre 2012 robe de mariée a dit :

#5

Salut, Quel CMS vous utilisez pour créer ce type de site internet ? je voudrais en fabriquer un.

Le 27 septembre 2012 hélico rc a dit :

#6

Formidable sujet super bien rédigé, c'est peu commode de voir ceci a notre epoque.

Le 14 novembre 2012 avatar télécommandé a dit :

#7

Silvio Berlusconi est désormais loin des projecteurs et je pense que c'est mieux ainsi. On voit surtout dans quel état il a laissé son pays... on ne pleurera donc pas dans les chaumières.

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